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Les Arméniens Islamisés du Hamchène

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Dans la Turquie d’aujourd’hui, beaucoup d’Arméniens de souche qui, bien qu’ayant adopté l’islam dans le passé pour survivre, conservent dans leur dialecte, leurs coutumes, leurs différentes composantes culturelles (chants, danses, arts appliqués, etc) des éléments de leur identité arménienne.

L’un de ces groupes ethniques, les Hemşinli ou Arméniens islamisés du Hamchène, vivent dans un district montagneux appelé Hemşin (historiquement « Hamchène ») situé dans la région orientale de la mer Noire en Turquie principalement dans les départements d’Artin et de Rize. Bien qu’il n’existe aucune étude statistique leur nombre est estimé entre 100 000 et 1 million.

Afin de promouvoir les études académiques sur cette minorité arménienne Hamchène, sensibiliser l’opinion publique arménienne et les cercles d’experts sur la question, plusieurs ONG (Yerkir – Penser & Agir, Arménien, Naregatsi Art Institute, l’ONG Bagaran et Research of Armenian Architecture) ont organisé à Erevan une « Semaine de la culture Hamchène » du 21 au 28 juillet 2008.

Cette « Semaine de la culture Hamchène c’est articulé autour de deux évènements :

Une tournée du groupe Hamchène VOVA à Erevan

Le fondateur du groupe folklorique Hamchène VOVA, Hikmet Akçiçek, est né à Hopa, en 1963, où le dialecte arménien Hamchène était sa langue maternelle. A partir de 1993, Hikmet Akcicek commence à répertorier les chansons arméniennes Hamchène.  En 2000, Hikmet Akcicek rencontre Ersin Cheliq et Moustafa Biber et ensemble sortent leur premier album, en 2005, VOVA, qui contient 13 chansons et danses interprétées en arménien Hamchène.

L’ensemble musical Hamchène VOVA s’est rendu en Arménie du 21 au 28 juillet 2008. Il s’agit non seulement de la première représentation du groupe en Arménie mais aussi de la toute première visite de nombreux membres du groupe en Arménie. Deux concerts de musique et de danse folklorique arménienne Hamchène ont eu lieu les 22 et 25 juillet à l’Institut d’Art Naregatsi et à la Maison de musique de chambre d’Erevan.

Colloque "Hemşinli et Hamchènetsi - histoire et culture"

Depuis des siècles, la Turquie utilise une politique d’assimilation forcée envers les peuples non musulmans qui habitent en Turquie. Les Arméniens ont bien sûr subi ces pressions de la part des Turcs et certains ont été obligés d’abandonner leur foi chrétienne, que ce soit au 16ème ou 18ème siècle ou pour échapper au génocide, en 1915. Parmi ces populations islamisées de force, se trouvent les Hamchènetsi, concentrés autour des rives de la mer Noire. Pour la première fois un colloque réunissait à Erevan, en Arménie, des chercheurs turcs et arméniens, pour traiter du phénomène de ces crypto-Arméniens, de leur histoire et de leur culture.

Hemşinli (Islamisés) et Hamchènetsi (Arméniens d’Hamchène) : leur histoire et leur culture.

L’Académie nationale de l’Institut scientifique des Etudes orientales et Yerkir – Think & Do Tank ont organisé un colloque international sur le thème « Hemşinli et Hamchènetsi ; histoire et culture » qui a eu lieu le 23 juillet 2008, dans la grande salle de l’Hôtel Congress, à Erevan.

Le colloque était composé de trois parties. Parmi les intervenants, des scientifiques d’Arménie spécialistes de la question Hamchène, des linguistes et des professeurs du Conservatoire pour parler des particularités de la langue et de la culture musicale des Hamchènetsi, ainsi que des spécialistes turcs de Turquie. Il est à noter qu’étaient présents dans la salle des Hamchènetsi de Turquie, de Russie et d’Arménie.

Rouben Safrastian, directeur de l’Institut Scientifique des Études Orientales de l’Académie des Sciences d’Arménie, a ouvert le colloque. Il a noté que c’était la première conférence de ce type organisée en Arménie et qu’elle avait pour but d’étudier la question du Hamchène et de ses habitants, leur histoire et leur culture.

Des spécialistes de Turquie étaient présents dans la salle ce qui a donné la possibilité d’étudier cette question avec eux. Rouben Safrastian a remarqué que l’intérêt envers l’histoire du Hamchène et sa culture s’est considérablement amplifié ces dernières années en Turquie. Des spécialistes turcs ont commencé à faire des recherches scientifiques, à soutenir des thèses sur ce sujet. Il faut mentionner que parfois leur position diffère de celle des spécialistes d’Arménie.

Après lui, ce sont Gagik Gyurdjian, vice-ministre de la Culture et le représentant de Yerkir – Think & Do Tank, qui ont pris la parole pour saluer et souhaiter bon courage aux participants. Les conférenciers se sont succédé pour traiter du Hamchène, de l’histoire et de la culture des Hamchènetsi :

Première Partie : Modérateur Rouben Safrastyan, Directeur de l’Institut Scientifique des Études Orientales de l’Académie des Sciences d’Arménie

– La question de l’identité ethnique en Turquie et les Hamchènes par Rouben Melkonyan de l’Université d’Etat de Erevan et de la Fondation Noravank.

– Les aspects économiques, sociaux et culturels de l’identité du groupe occidental des Hamchènes par le Dr. Erhan Gursel Ersoy de l’Université d’Hacettepe d’Ankara (Turquie).

– La mémoire traumatique comme facteur majeur de préservation de l’identité arménienne en Turquie par Harutyun Marutyan de l’Institut d’Archéologie et d’Ethnographie de l’Académie des Sciences d’Arménie.

Deuxième partie : Modérateur, Gagik Harutyunyan (Directeur de la Fondation Noravank)

– La politique linguistique de l’Empire ottoman dans le district arménien de Hamshen par Lusiné Sahakyan de l’Université d’Etat de Erevan.

– L’utilisation du dialecte Hemchinli dans la région du Hamchène occidentale par Aysenur Kolivar, artiste Hamchène de Turquie.

– Les particularités lexicales du dialecte Hamchène par Haykanush Mesropyan et H. Atcharian de l’Institut des Langues de l’Académie des Sciences d’Arménie.

– Observations sur le patrimoine musical des Arméniens du Hamchène par Karine Brutyan du Conservatoire National Komitas, Directrice de la Chaire des Etudes des Musiques Arméniennes Folkloriques.

– La danse comme expression des rituels chez les Hamchènes par Zhenya Khachatryan de l’Institut d’Archéologie et d’Ethnographie de l’Académie des Sciences d’Arménie.

– Les compositions musicales des Arméniens Hamchènes par Harutyun Panosyan, Ethnographe-collectionneur.

Troisième partie : Modérateur Ashot Melkonyan (Directeur de l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences d’Arménie).

– La place des Arméniens du Hamchène dans le système des autres groupes ethno-territoriaux arméniens par Nvard Kochar de l’Université d’Etat de Erevan.

– Sur l’histoire de la recherche des Arméniens Hamchènes convertis à l’Islam par Sergey Vardanyan, rédacteur en chef du journal “Voice of Hamshen”.

Critique du texte historiographique « l’Histoire du Daron » de Hovhan Mamikonian sur les sources de la légende sur Hamamashen par Aleksan Hakobyan de l’Institut des Etudes Orientales de l’Académie des Sciences d’Arménie.

– Sur les minorités nationales et religieuses de l’Empire Ottoman et le processus d’islamisation par Aleksandr Safaryan de l’Université d’Etat de Erevan.

– Les Hamchènes vivant en Russie ; la situation actuelle par Artavazd Tulumdjyan, Président du Centre Culturel et Scientifique “Hamshen” de Krasnodar en Russie.

– L’architecture arménienne de Hamchène par Margarit Hakhnazaryan experte à l’ONG d’Arménie Research on Armenian Architecture (RAA).

Le problème de l’identité ethnique en Turquie

Pendant des années, la Turquie a utilisé la politique d’assimilation forcée envers les peuples non musulmans qui y habitaient. Très souvent l’assimilation a eu lieu au moyen de conversion forcée à l’islam. Des Arméniens ont également été obligés de changer de religion. Pour parvenir à leurs fins, les Turcs ont utilisé diverses méthodes, comme par exemple, les menaces de mort.

En adoptant l’islam, ce groupe d’Arméniens s’est éloigné inconsciemment de ses racines et de ses proches, restés chrétiens. Cependant, il y a un autre groupe d’Arméniens, qui, même après la conversion forcée à l’islam, a réussi à garder et à transmettre aux autres générations des éléments de sa culture, de son identité, de sa langue et de ses traditions, ces éléments jouant aujourd’hui un rôle important dans l’identité de ces Arméniens.

Hormis ces deux groupes d’Arméniens, on peut parler des Hamchènes qui se sont convertis à l’islam du 16ème au 18ème siècle, ainsi que des Arméniens convertis à l’islam pendant le génocide arménien. Cependant, certaines sources turques disent que ces derniers se sont convertis volontairement. Il est à noter que ces Arméniens n’avaient pas le choix ; ils devaient choisir entre la mort et la conversion. On peut aussi diviser ces Arméniens en deux groupes :

1. Les individus qui ont conservé leurs traditions nationales, religieuses, chrétiennes, qui ont oublié leur langue, mais qui sont restés fidèles à leur identité. Ils tâchent de conserver tout ceci et de le transmettre aux générations suivantes. Il est à noter que certains représentants de différentes générations appartenant à ce groupe d’Arméniens sont redevenus chrétiens, ce qui prouve qu’ils n’ont pas oublié leurs racines. On les appelle les Arméniens cachés (déguisés).

2. Les individus dont les ancêtres étaient obligés de se convertir à l’islam. Ils sont au courant de ce fait, mais comme ils n’ont eu aucun rapport avec les Arméniens, ils n’ont pas conservé d’éléments de leurs traditions nationales et religieuses, et ils sont devenus kurdophones et turcophones. Parmi les gens de ce groupe on peut rencontrer des Hamchènes qui reconnaissent et acceptent leurs origines arméniennes, d’autres qui les refusent et d’autres qui admettent ces origines mais se déclarent d’une identité propre aux Hamchènes. Précisons qu’il est assez difficile de garder ou de parler de son identité arménienne en Turquie.

Il faut remarquer que pendant le génocide, la conversion à l’islam a aidé certains Arméniens à sauver leur vie. Il est important aussi de parler de ces deux cas suivants :

1. Les Arméniens convertis étaient principalement des artisans dont l’Etat turc par le biais de ses représentants locaux avait besoin pour leur savoir-faire.

2. Beaucoup de musulmans ont abrité des Arméniens et ils utilisaient souvent l’expression suivante : « L’Arménien de notre maison ». A part eux, il y avait d’autres musulmans qui ont sauvé la vie de certains Arméniens voir enlevé des femmes et des enfants, mais qui avaient ensuite confisqué leurs biens : ces Arméniens étaient devenus leurs esclaves. Eux, ils utilisaient l’expression suivante : « Mon Arménien ».

En ce qui concerne les Hamchènes musulmans, la plupart d’entre eux habitent sur les rives orientales de la mer Noire, ainsi que dans les grandes villes de Turquie.

Du 16ème au 18ème siècle, l’Empire ottoman a réalisé sa politique d’islamisation forcée dans les lieux habités par des Hamchènes. A cause de cette politique, une partie des Hamchènes s’est convertie à l’islam, les autres ont été massacrés ou ont quitté leurs foyers. Aujourd’hui, en Turquie il ne reste que des Hamchènes musulmans. Une part de ces Hamchènes ont conservé et utilise un dialecte arménien, le dialecte du Hamchène, tandis que le deuxième groupe a oublié la langue : il a juste conservé certains mots de la langue maternelle, les noms de famille et des éléments de sa culture.

On peut diviser les Hamchènes en trois groupes :

1. Ceux qui acceptent leurs origines arméniennes. Ces gens-là, surtout les jeunes habitent dans les grandes villes de Turquie, acceptent l’idée qu’ils sont Arméniens, ils savent tout sur leur appartenance ethnique, tâchent d’apprendre et d’utiliser le dialecte du Hamchène et de le transmettre à leurs enfants.

2. Les Hamchènes du deuxième groupe refusent leurs origines arméniennes et déclarent qu’ils représentent une toute autre nation dont le nom est Hemşi. Les scientifiques estiment que ce phénomène est peut-être lié au fait que pendant des années, les Hamchènetsi ont vécu isolés, loin de l’Arménie et des Arméniens.

3. Il existe un troisième groupe, assez récent qui reconnait ses origines arméniennes mais qui se définissent comme ayant une particularité et une identité propre, ni arménienne, ni turque mais Hamchène.

Il est à noter que pour les Hamchènes, leur patrie sont les montagnes des rives orientales de la Mer Noire.

La langue des Hamchènes

La région du Hamchène a réussi à conserver sa langue et sa religion jusqu’à la fin du 18ème siècle. Au début de ce siècle, les Hamchènetsi étaient obligés de se convertir à l’islam. Les Arméniens convertis évitaient les pressions des Turcs et ne payaient pas d’impôts. Pour eux, il était dangereux de parler arménien, ils ont donc commencé à utiliser la langue turque. La plupart des Hamchènes s’est installée sur les rives orientales de la mer Noire et a conservé sa langue et sa culture. Les linguistes pensent que la langue du Hamchène est l’un des dialectes de l’arménien.

Le deuxième groupe de Hamchènetsi, soumis aux pressions du gouvernement turc, n’a pas pu conserver sa langue, mais utilisait par contre souvent des mots arméniens. Les linguistes disent également que la langue du Hamchène se divise en deux branches : orientale et occidentale. Et il y a quelques particularités linguistiques entre ces deux branches.

Le rôle de la mémoire traumatique dans la conservation de l’identité arménienne en Turquie.

D’après les scientifiques, la mémoire traumatique joue un rôle important dans la conservation de l’identité. Les représentants de plusieurs générations peuvent avoir une mémoire collective sur leur identité, leur histoire et leur culture.

Mais comment la mémoire collective peut-elle se transmettre d’une génération à l’autre ? Grâce aux livres et aux recueils. Par exemple, après le génocide arménien de 1915, plusieurs historiens et scientifiques ont écrit des livres où ils ont parlé de ces évènements, mais hormis ceux-là, plusieurs rescapés du génocide ont également parlé de tout ce qu’ils ont vécu. Tout ça prouve l’existence de la mémoire traumatique chez les rescapés.

Il y a un autre groupe de rescapés qui a caché cette mémoire pour ne pas affliger ses proches, tandis que le deuxième groupe a voulu parler, mais il n’a pas osé le faire à cause des pressions du gouvernement turc. Il y a un troisième groupe d’individus qui a caché son identité sous la pression traumatique.

Que comprend-t-on en disant « quotidien traumatique » ? Voici un exemple : Les Turcs ont un comportement détestable même envers les Arméniens convertis à l’islam. Ces derniers se sentent mis à l’écart de la société. Ils disent souvent : « Même si l’on fait le Namaz (prière musulmane) dix fois par jour, l’enfant turc nous appelle guiavur qui veut dire infidèle (de façon très péjorative) ».

Pour ne pas être isolés de la société ou maltraités par les Turcs, les individus se taisent donc, cachent leur identité et n’osent même pas parler l’arménien ou déclarer leur origine en Turquie. Les cas de mariage endogame sont fréquents chez ces Arméniens : cela les aide à échapper aux pressions et à garder des éléments de leur identité arménienne.

La culture du Hamchène

La danse occupe un rôle important dans la vie des Hamchènes. Chaque danse a son rôle et son lieu d’exécution. Les danses, surtout la danse de la fiancée, sont bien respectées pendant les fêtes de mariage. Cette danse de la fiancée a son temps d’exécution et les invités doivent le respecter. Les célibataires n’ont pas le droit de participer à cette danse. Il y a d’autres types de danses aussi qui montrent l’éducation physique des jeunes hommes.

Comme l’a remarqué le spécialiste de Turquie, les Hamchènetsi ont été très doués dans le domaine de la pâtisserie. Ils ont ouvert plusieurs pâtisseries et cafés renommés en Turquie. Ces dernières années, les Hamchènes ont commencé à développer le tourisme dans leurs lieux d’origine.

L’architecture du Hamchène

L’architecture du Hamchène est assez extraordinaire. Au Hamchène, il n’y a ni église, ni mosquée. Les églises ont été détruite au 17ème siècle. Quant aux mosquées, l’Etat turc a commencé à en construire, il y a une vingtaine d’années alors que d’ordinaire, ce n’est pas l’Etat mais les croyants qui construisent les mosquées… Les ponts et forteresses sont assez nombreux au Hamchène. L’Etat turc est en train de reconstruire une partie de ces forteresses. Notons que les Hamchènes n’ont pas de cimetière commun, chaque famille a son lieu de sépultures.